Note: Ce texte a été écrit par Danielle Chartrand, psychothérapeute à la retraite, 2017

Il meurt lentement celui qui devient esclave de l’habitude refaisant tous les jours les mêmes chemins
Pablo Neruda -Les surprenantes capacités de notre cerveau au secours de notre retraite
L’histoire d’Alain
Je me souviens d’Alain (non fictif), l’aide-infirmier de mon père pendant les 18 mois qui ont précédé son décès. Celui-ci avait vécu une enfance difficile marquée par l’abandon. Il affirmait qu’il ne se marierait jamais et qu’il n’aurait pas d’enfants.
Or, mon père adorait son aide-infirmier et comme il avait perdu une partie de ses capacités intellectuelles, il le confondait avec son fils, mort à l’âge de 10 ans. Il lui offrait un amour chaleureux et inconditionnel, c’était pour mon père une occasion inespérée de renouer avec son défunt fils…
Après ces 18 mois passés auprès de mon père, Alain s’est éventuellement marié et est maintenant l’heureux père de deux enfants. À postériori, il a pu dire que son bonheur actuel était tributaire de cet amour inconditionnel.
Ces 18 mois lui ont permis de créer « un nouveau chemin» dans son cerveau, de voir la vie sous un nouvel angle.
Nos certitudes actuelles sont souvent basées sur nos expériences passées et le fait d’en vivre de nouvelles peut mener à tracer de nouveaux sentiers, et éventuellement, à changer notre perception de la réalité.
Pendant ma formation, on qualifiait ces nouveaux circuits de «nouvelles mémoires».
De nombreux ouvrages font état de la plasticité du cerveau à tel point que l’un de mes formateurs disait qu’une exploration de ce dernier au début et à la fin d’une thérapie pouvait démontrer des modifications physiologiques visibles.
Notre cerveau est malléable
En effet, tout au long de notre vie, le cerveau est malléable et celui-ci ne différencie pas la réalité de l’imaginaire. Nous pouvons créer de nouvelles mémoires uniquement par la pensée, c’est d’ailleurs à partir de cette prémisse que s’est développée l’hypnose.
Si l’expérience d’Alain est arrivée par hasard, il est cependant possible de décider consciemment de créer de nouvelles avenues, et ainsi voir la vie différemment.
Cette faculté est particulièrement intéressante lors de période de transition comme celle de la retraite où la perte de repères est importante. Les nouveaux circuits peuvent se faire en travaillant dans la réalité, comme pour Alain, ou au niveau de la pensée, ce que les adeptes « de la pensée positive » avaient compris intuitivement depuis très longtemps.
Nos bonnes vieilles habitudes ne suffisent plus
Pour la génération de nos parents, la retraite était souvent perçue comme une période de repli sur soi, un désengagement. Aujourd’hui, cette perception tend à se modifier et évolue vers une notion d’ouverture.
Les mots DÉCOUVRIR, PROFITER et même OSER sont maintenant souvent associés à ce nouveau chapitre de la vie. Néanmoins, cette période nécessite généralement certains ajustements.
Cela étant dit, il peut-être intéressant de comprendre comment ces changements s’installent dans le cerveau. Selon certaines recherches en neurosciences, le cerveau est constitué d’une multitude de circuits branchés les uns aux autres; cette configuration s’est créée au fur et à mesure de nos expériences.
Utiliser les mêmes circuits crée en quelque sorte des «autoroutes» dans le cerveau et ces « voies rapides » ont l’avantage d’être connues, rassurantes et plus faciles d’utilisation; qu’elles soient satisfaisantes ou non.
Construire de nouveaux chemins
Toutefois, à l’étape de la retraite, il faut parfois accepter d’abandonner certaines routes pour construire de nouveaux chemins qui mèneront vers de nouvelles destinations.
Par exemple, en soirée, plusieurs d’entre nous ont comme habitude de regarder la télévision. À la suite d’une journée de travail bien remplie et dans un contexte familial, cette activité peut être satisfaisante et réconfortante.
Toutefois, dans un contexte différent, à savoir celui de la retraite, les enfants sont généralement partis de la maison et nos besoins de repos sont moins importants, cette même activité peut ainsi avoir une signification différente et devenir synonyme de solitude.
Au plan émotif, il se crée alors un nouveau circuit négatif. Afin de remédier à la situation, si l’on sent une insatisfaction, il est conseillé de changer ses habitudes de fin de journée afin que celles-ci demeurent satisfaisantes.
Par exemple, la traditionnelle séance télévisuelle peut être remplacée par une marche, écouter de la musique ou par une période de lecture. Peu à peu, de nouveaux circuits se créeront dans notre cerveau; plus ceux-ci seront utilisés, plus ils gagneront en importance.
À 700 degrés, la tarte ne cuit pas deux fois plus vite
Afin d’assurer une transition en douceur, il est conseillé de se fixer des objectifs réalistes et de prendre le temps de découvrir et d’évaluer les différentes opportunités.
Par exemple, plusieurs d’entre nous ont sûrement fait l’expérience de prendre la résolution de faire du sport trois fois par semaine et d’abandonner dès le premier mois.
Changement et sagesse : le KAIZEN
Pour remédier à ce problème, les Japonais ont inventé le principe du KAIZEN : une méthode japonaise favorisant les changements lents et réguliers. KAI veut dire changement et ZEN signifie sagesse.
Prendre un engagement d’une seule minute par jour, démarre une roue qui telle une goutte d’eau qui tombe régulièrement à la même place, va éventuellement percer un trou.
Bien qu’un peu excessif, cet enseignement est sûrement sage (ZEN).
Si je m’engage à méditer quelques minutes par jour, je vais probablement le faire régulièrement. Les risques d’échec sont limités et j’apprendrai petit à petit à en reconnaître les bénéfices.
Le plaisir croît avec l’usage
Les « autoroutes » présentes dans le cerveau et la grande propension à y retourner guettent la moindre faille. Vaut mieux repasser souvent sur les nouveaux circuits que d’essayer d’installer un nouveau comportement en insistant dès la première fois.
Ça semble une évidence, mais à mon avis, il y a une valeur ajoutée à conscientiser ce qui se passe à l’intérieur du cerveau. Cela vaut non seulement pour les habitudes de vie, mais aussi pour les réactions émotives.
Un enfant élevé par des parents froids risque fort de devenir lui aussi une personne de nature froide. S’il rencontre un professeur chaleureux, il créera un nouveau chemin d’abord en pointillé. Si le chemin est utilisé assez souvent, il deviendra une route plus importante. L’enfant aura la chance de devenir un adulte plus chaleureux s’il réussit à intégrer cette nouvelle façon d’être.
Notre nouveau retraité qui continue à regarder la télévision après le souper en se sentant seul et inutile intègre lui aussi un nouveau circuit…
En guise de conclusion
À la retraite depuis plus de deux ans, j’ai déjà traversé une foule d’émotions et d’ajustements.
Comprendre ce qui se passe dans le cerveau m’aide à combler mes besoins et à éviter de retourner vers certaines “autoroutes” efficaces lors de ma vie professionnelle et familiale d’avant ma retraite, mais beaucoup moins maintenant.
Ça m’aide aussi à rester alerte pour ne pas créer de nouveaux circuits négatifs que ce soit au plan comportemental ou émotif. C’est un travail de longue haleine. La pratique est plus ardue que la théorie…
S’arrêter, retrouver les valeurs qui nous animent, ressentir ses besoins, prendre le temps de les réévaluer en fonction de cette période de vie m’apparaît être une toile de fond qui risque de rendre la retraite plus agréable et significative.
Bref, il s’agit de découvrir “les bons chemins” et au besoin les transformer en nouvelles «autoroutes» mieux adaptées à notre réalité que ce soit à 60 ans, 70 ans ou 80!
Sur ce, je vous souhaite bonne route !